Café du français

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Sex in the medina

Sex in the medina


Dernières techniques de drague, quête de l’orgasme féminin, émergence du “je” sexuel… Enquête sur les nouvelles tendances au Maroc.


Elle : “Alors, tabite où ?”. Lui : “Tu veux dire ma…”. Elle : “Non, je veux dire tu habites où : chitoi ou chimom ?”. Lui : “Chimoi, alors ça te tente ?”. Elle : “Ça dépend… t’as une copine, t’as un PCR en ce moment ?”. Lui : “Une copine, oui, non, mmm… mais un PCR ché pas, c’est quoi ?”. Elle : “Un plan Q régulier, on dit PCO pour un plan Q occasionnel. Le Q remplace le C.

Je te fais un dessin ?”. Lui : “Non, une pipe plutôt”. Elle : “Déjà ?”. Lui : “Ok, ok, tu veux bien être mon PCO, là, tout de suite, pour commencer ?”. Elle : “Ça dépend, pour le moment je caste un PCR, mais il va échouer aux tests d’admission car il ma présenté tout son groupe d’amis. Il ne m’aura pas de sitôt”…

Elle et lui ont “échangé” comme ça, sur le Net. Ils ne s’étaient jamais vus et, deux heures auparavant, chacun ignorait jusqu’à l’existence de l’autre. Cela s’appelle le chat. De trois à cinq heures du matin, le parfait plaisir solitaire, virtuel, un peu anonyme. Les deux insomniaques se sont livrés comme sur le divan d’un psy. Des mots pour dire le sexe, peut-être bien une certaine idée de l’amour, s’y préparer, partager des sensations, en procurer l’un à l’autre. Et aller se coucher comme des bébés. Parce qu’ils ne l’ont pas fait ! Pour lui, c’est partie remise. Pour elle aussi, c’est ce qu’elle dit. Ou alors c’est un jeu, plus adulte qu’une Playstation ou une partie de poker. Plus frustrant aussi. Cela dépend des jours, des nuits, des opportunités qui peuvent bien se présenter, demain, un jour, à elle, à lui.

Il en va ainsi de la vie sexuelle d’un homme de 30 ans, d’une femme du même âge, peut-être plus jeune. Sur le Net, on aborde la “chose”, on plonge littéralement dans son intimité sexuelle, sans décliner sa carte d’identité nationale. Pas besoin d’avoir l’âge de ses artères, juste celui de son PC, l’imagination comblera le reste. Aucune barrière, pas de limite, on se dévoile via le sexe, des histoires de sexe. Et le sexe, on aura toujours le moyen de le vérifier auprès du psy le plus proche, c’est aussi la tête, c’est les mots.

On en parle, on y pense
“Il n’y a pas de santé sans santé sexuelle”, nous rappelle le Professeur Driss Moussaoui, directeur du Centre psychiatrique universitaire (CPU) à Casablanca. L’équation sexuelle peut parfaitement trouver son équilibre dans le virtuel. “Je chatte, je me masturbe” est un leitmotiv bien connu des internautes. Un truc tendance. Ça peut finir au lit, ou plus, si affinités. Souvent, ça nourrit juste l’imagination de son homme. “Mais tout se passe dans la tête, tout est à la base virtuel. Avant Internet, il y avait les films, les bouquins. Un chat sexuel, c’est un peu l’équivalent d’une lecture de Cheikh Nefzaoui (auteur du fameux “Jardin parfumé”), pour la jeune génération”, soutient un psychologue à Casablanca, qui n’a pas souhaité décliner son identité.

Amina, 34 ans, informaticienne, appartient au genre BCBG. C’est une affranchie. Elle lit, elle plane, elle est en quête effrénée de l’homme idéal. Amina cherche un homme, “un mari ou un homme”, comme elle explique pour montrer sa détermination. Ses épanchements intimes, elle les confesse au sexologue. “Je désespère de trouver mon homme. Mais je vis. Je surfe sur Internet, je vais dans les forums, les chats. J’établis mes fiches et je sélectionne les hommes avec lesquels je souhaite aller plus loin. Sur dix sélectionnés, je peux en tester deux et aller jusqu’à coucher avec eux. Et je raconte tout cela à mon sexo”.

En 2008, le sexe bascule dans les réflexes de consommation. On travaille, on respire, on consomme tout, le sexe compris. Même si, comme le relativise le sociologue Jamal Khalil, “ce n’est pas tant la pratique sexuelle que le réflexe d’en parler qui a progressé”. Les Marocains ne sont pas subitement devenus de chauds lapins, des libertins new age. Ils le font, un peu comme avant, un peu plus, un peu mieux. Et ils en parlent.

Le sexe, on l’a dit, c’est les mots. La drague dans la rue, au travail, les commentaires enflammés des exploits de la veille. Hakim, Casablancais de 28 ans, admet qu’un cercle de trois amis est pratiquement au courant de ses aventures sexuelles au détail près. “Je leur dis tout, parce qu’ils me demandent tout. Les positions, les gâteries, même les pannes et les ratages”. Hakim n’appartient pourtant pas au parfait moule du Marocain moyen, comme nous le confirme le sexologue Aboubakr Harakat, installé à Casablanca. “En fait, ce sont surtout les femmes qui disent tout. Elles dévoilent leur intimité et livrent toutes sortes de détails sur leurs partenaires. Les hommes ont tendance à avoir la mémoire sélective, ils effacent des pans entiers de leurs souvenirs, ils arrondissent les angles et refoulent davantage”.

On le consomme, on en redemande
Virée dans une boîte in qui pointe au milieu de la corniche casablancaise. Sur la piste, beaucoup parmi les corps qui se déhanchent ont une chance, parfois juste le rêve, de finir la nuit ensemble. “Il n’y a aucun regard moralisateur à porter sur le phénomène. Chaque fois qu’un homme et une femme se retrouvent dans une situation de proximité, il se produit un réflexe de rapprochement, d’attirance, entre les deux. Même quand c’est purement mental. C’est hormonal, c’est naturel. Il n’y a aucune posture sexiste là-dedans”, commente Aboubakr Harakat. Le sexe, dans les vapeurs d’une boîte de nuit, n’est pas seulement un cliché. On sort pour s’amuser. Et s’exposer. “Quand je sors, il m’arrive d’aligner quelques lignes de coke, parfois même un cachet d’Ecsta. Quand, au bout, il y a le sexe, le plaisir est décuplé”, souligne cette fêtarde de 30 ans.

Le sexe tendance conso est, aujourd’hui, un phénomène purement urbain, citadin, qui se conjugue au féminin comme au masculin. “C’est une question de pouvoir et d’indépendance financière”, résume Jamal Khalil. “Et de logistique” enchaîne, plus terre-à-terre, Aboubakr Harakat.

Rachid, semsar à Casablanca, peut en dire autant. Il est aussi psychologue dans son genre, plutôt fin. Son GSM n’arrête pas de sonner et il voit défiler, tous les jours, femmes et hommes au bord de la crise de nerfs. Certains cherchent l’appartement de leur vie, d’autres juste un espace intime, sécurisé, pour une nuit à deux. “Quand un client me demande un appartement pour la nuit, sans être regardant sur le prix, je sais qu’il y a une chance sur deux que l’enjeu soit purement sexuel. Ce n’est pas de la prostitution et, de toutes les façons, ça regarde les clients, et les propriétaires des maisons. Ce n’est pas mon affaire”. La nuit peut coûter entre 400 et 2000 dirhams, selon le standing et l’offre du marché. La demande est toujours individuelle, elle peut émaner d’une femme ou d’un homme, invariablement. Les pièces d’identité ne sont pas forcément obligatoires, loin de là. C’est discret, ça rend service et ça se termine généralement bien. Ou alors mal, comme les histoires d’amour. “Il arrive que des voisins se plaignent, que la police intervienne. Ces cas sont rares car, pour en arriver là, il faut qu’il y ait de l’excès, de l’abus : un scandale, du tapage, etc.”, nuance Rachid.

Un détail : Rachid fait de bonnes affaires avec ces clients d’un genre particulier, qui habitent parfois à quelques centaines de mètres de l’appartement qu’ils louent pour la nuit. “Ce sont parfois des gens mariés, souvent mûrs. Ou alors des célibataires qui logent encore chez leurs parents, mais qui ont les moyens de se payer l’appart. Tous ces gens ont les moyens d’aller à l’hôtel, ils l’évitent pour ne pas être refoulés sous prétexte qu’ils ne sont pas mariés”.

Le syndrome du “pritch”
Salim, 40 ans, est un pur produit du moule célibataire endurci. Sa devise : “Les filles, je les aime toutes. Mais pas autant que ma mère !”. Donc seul. Salim dispose de cinq exemplaires de la clé de son appartement. “Mais elles ne sont pas toutes chez moi. J’en garde deux pour moi, deux sont chez des copains, la cinquième il faut la chercher chez ma mère !”. On l’a compris, le quadra est du style à rendre service aux petits copains. Un ami, une amie, pressé(e) d’en découdre avec un partenaire, entre midi et deux ou le temps de la pause-café au milieu de l’après-midi. Le syndrome du “pritch”. “Parfois, je fais remarquer à mes amis, en plaisantant, que je pourrais monnayer mes services. C’est une menace que je ne mets jamais à exécution. Mais il m’arrive de récupérer un fond de bouteille, de la charcuterie, ou un paquet de préservatifs parfumés à la vanille, après le passage de l’un de mes amis” explique, un brin cynique, notre interlocuteur.

Amal, 27 ans, est le pendant féminin de Salim. Elle vit en coloc’ avec un ami, et il lui arrive de confier son demi-appart à l’une de ses connaissances, fille ou garçon. “Les filles aussi prennent les devants. Elles connaissent parfaitement le syndrome du pritch”, explique-t-elle avec cet air entendu des jeunes gens très up to date sur les mœurs de leur époque. Parce que les filles aussi. Elles savent tout, font tout, exactement comme les hommes. “C’est même la principale évolution dans les nouvelles attitudes adoptées face au sexe. Les filles osent, s’affranchissent… et vont jusqu’à draguer dans la rue, à leur manière bien sûr”, commente Aboubakr Harakat, qui lie l’émancipation de la douce moitié du pays tant aux progrès de la Moudawana qu’au développement des nouvelles technologies et à l’amélioration du pouvoir d’achat.

“Classiquement, les hommes sont plus dans l’aventure, donc le sexe, et les femmes dans la construction, donc l’affectif”, résume ce psychologue à Casablanca. Les hommes consomment, les femmes aiment. Un peu classique, limite ronflant. Mais la bataille de l’amour et du sexe s’équilibre, la tendance est au nivellement de part et d’autre. “Les hommes aiment plus, les femmes consomment plus, les deux berges se rapprochent”, conclut notre source.

L’orgasme, ce Graal
Aboubakr Harakat tient depuis 20 ans un cabinet de sexologie niché dans l’un des meilleurs quartiers de Casablanca. Au début, 90% de sa clientèle étaient des hommes. Aujourd’hui, c’est du fifty-fifty avec même un léger avantage aux femmes. Les motifs de consultation sont, bien entendu, nettement contrastés selon les sexes. Globalement, les hommes consultent d’abord pour des problèmes d’éjaculation, qui ont détrôné les pannes liées à l’érection, longtemps obsession numéro 1 du mâle moyen. Les femmes, elles, consultent prioritairement pour des questions liées au vaginisme, à un degré moindre aux troubles du plaisir et du désir, communément désignés par le générique anorgasmie. “Dans les deux cas, chez les hommes et plus encore chez les femmes, il se produit un important saut qualitatif. Un palier a été franchi. On est passé de l’érection vers quelque chose d’autre, le plaisir, le désir, le raffinement, etc.”, explique le sexologue.

Fait exceptionnel, nouveau, les clientes sont parfois des mères de famille, qui viennent consulter pour leurs enfants, généralement adolescents. Des phrases comme “Docteur, mon enfant a une panne sexuelle” ou “Mon fils a un zizi trop petit” pouvaient prêter à sourire, peut-être bien heurter les âmes sensibles. Aujourd’hui, elles correspondent à une réalité de tous les jours. On les dit parce qu’il le faut bien. Evacuer, tout dire, oser, c’est un peu cela le leitmotiv d’un certain Maroc, urbain, affranchi, de 2008.

Et le sexe, dans tout cela ? La réponse ne devrait guère s’écarter de la ligne “On fait comme on peut”. On s’arrange, on deale. Comme ce haut cadre financier, mal marié, qui rattrape le temps perdu en composant régulièrement l’un des innombrables numéros du téléphone rose. “Je suis devenu addict”, confie-t-il à son thérapeute. Une manière de demander, en sous-ligne : “Est-ce normal ? Est-ce qu’il est possible de basculer dans autre chose ? Est-ce que je peux connaître l’amour, le pratiquer, jouir ?”.

Le saut qualitatif
Marocains, Marocaines, le sexe vous intéresse. Il vous importe au point que vous êtes en quête réelle, assumée, de plus en plus affichée, de qualité. “C’est tout à fait cela”, renchérit Aboubakr Harakat qui met toutes ces interrogations nouvelles (taille du pénis, durée de l’orgasme, positions sexuelles, et autres subtilités de la vie intime) sur le compte d’un glissement progressif vers la qualité. L’érection n’est plus le seul mythe qui vaille. “Chercher la qualité, c’est d’abord penser à soi, à l’individu qui sommeille en chacun de nous, et c’est aussi penser à l’autre, à son plaisir et à son degré de confort. En bref, la qualité c’est se faire plaisir et se donner toutes les chances de garder l’autre”, résume ce sociologue qui a requis l’anonymat. Le psy, le sexo et le socio sont d’accord : la qualité, et l’impact de cette qualité, ne sont pas spécialement l’apanage des jeunes. La quête du Graal les concerne tous et toutes, de 20 à 80 ans. Oui, oui, même nos grands-pères. Un psychiatre raconte : “Une fois, j’ai reçu un octogénaire venu consulter, affirmait-il, pour ses problèmes avec sa femme, toute nouvelle, de 30 ans. On pouvait croire qu’il était impuissant. En fait, non. Il s’inquiétait de ne pas honorer sa jeune femme plusieurs fois par jour. Il craignait qu’elle ne soit tentée d’aller, selon son expression, combler le retard ailleurs, auprès de partenaires plus vigoureux”.

Au-delà de toute pudeur, donc. Le sexe, même sous son jour le plus conso, est l’affaire de tous. On dit aussi qu’il vaut mieux être vigoureux, pas pauvre, et habiter dans un grand centre urbain pour être tout à fait dans le coup. Un cliché ? Oui et non, cela dépend. “Bien sûr que l’on méconnaît généralement la sexualité du pauvre, de l’homme de la campagne, de ceux qui ne savent ni lire ni écrire. Mais ils y sont aussi. Ils dealent à leur manière, c’est tout”, explique Jamal Khalil.

Pas plus d’une boussa !
Hakima est une jeune femme de 33 ans. Mariée, trois gosses. Pour elle, tous les jours de la semaine se ressemblent. Sauf le lundi, parfois le mercredi. “Je ne parle pas du dimanche, que je dédie exclusivement à ma famille”. Lundi, ou mercredi, Hakima rend visite à un ami, son amant. Un célibataire qu’elle avoue aimer secrètement, depuis des années. “Je sais que c’est haram, que cela ne se fait pas. Je sais que cela se fait, pourtant. Moi, je le fais parce que j’ai l’impression de rattraper le temps perdu. Je revis. C’est vital”, confie la jeune femme. Ce n’est pas une question d’oxygène, de vie ou de mort, juste de confort personnel. Débauche ? Plutôt transgression. Et puis, c’est bien connu, on ne vit qu’une fois et il vaut mieux que ce soit la bonne. “Le sentiment de culpabilité a toujours été lié à l’acte sexuel, parfois à la seule pensée sexuelle. Mais il serait réducteur de croire que le sexe dope le célibat, l’infidélité conjugale, la décomposition de la cellule familiale, l’anarchie sociale, etc.”, explique un psy.

La caravane passe, les chiens aboient. Ou alors : la “boule” sexuelle avance, les réflexes culturels pas forcément. Ce que traduit, à sa façon, Aboubakr Harakat. “Ce qui est resté figé, c’est surtout la perception, l’acceptation de la sexualité chez les jeunes, les femmes surtout”. On le fait, mais on ne le dit pas. On le fait, mais cela ne se sait pas. C’est comme si on ne le faisait pas ! “Aujourd’hui, une mère de famille moyenne peut accepter que sa fille ait un petit copain, elle peut même lui être présentée sans problème. Mais la maman a tendance à idéaliser la relation entre les deux jeunes, à lui conférer une pureté et une innocence tout à fait irréelles, en un mot à adopter la politique de l’autruche”, poursuit notre source.

Karima, justement, une jeune fille bien sous tous rapports, papa laïc et maman à la maison. Elle raconte : “Je ne comprends pas le double discours de mes parents. Maman tolère que j’aie des petits copains, mais elle n’arrête pas de me répéter, avant et après : surtout, pas plus d’une boussa ! Elle est bien la seule à le croire”. Rideau.
© 2009 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés


20/12/2009
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