Café du français

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Enquête. Luxe à tous les étages

Un appart’ à Marrakech, une robe griffée, un sac signé… signes extérieurs de richesse, signes des temps surtout. Les Marocains se sont convertis au haut de gamme. Griffes, joaillerie, automobile, épicerie fine… ils affichent tous un sourire émail diamant.


Une matinée pluvieuse du mois de janvier. Accompagné de son père, un gamin pénètre chez Fauchon pour acheter le fameux pain au chocolat,
spécialité de la maison parisienne. Derrière lui, une mère et sa fille attendent leur tour. La première joue avec son pendentif Chanel, la seconde trimballe un sac Vuitton. Les acteurs, le décor, les accessoires, tout cela fleure bon Paris… Pourtant, nous sommes à Casablanca, boulevard Moulay Rachid, là où est venue se nicher, dans une ancienne villa, la première franchise Fauchon au Maroc. “C’est le plus beau des magasins Fauchon ouverts à travers le monde”, s’extasie Taoufik Bensouda, propriétaire des lieux. L’homme est monté à Paris, études de marché sous le bras, pour convaincre les big boss de Fauchon qu’un marché existait au Maroc. Les succès des Frères Gourmets et de Lenôtre, situés dans le même périmètre que sa franchise, l’avaient déjà confirmé. Taoufik Bensouda était certain d’écouler aussi bien le célèbre macaron Fauchon à 19 dirhams que le pot de caviar Beluga à 900 dirhams, depuis que les amateurs d’épicerie fine se ramassent à la pelle, quelle que soit l’épaisseur de leur portefeuille. “Nous misons sur une clientèle plus large que Fauchon Paris et non pas uniquement sur les gens très aisés. Nos études de marché ont prouvé que beaucoup de Marocains, avec un pouvoir d’achat moindre, sont demandeurs de produits raffinés”, explique, enthousiaste, Taoufik Bensouda, qui compte rentabiliser à court terme son investissement initial de 60 millions de dirhams.

Paris à domicile
Cet optimisme à tout crin n’est pas l’apanage de l’épicerie fine, il habite tous les professionnels du luxe qui, de l’orfèvrerie à la maroquinerie, ont tous investi au Maroc, encouragés par le boom économique et l’apparition de nouveaux amateurs de griffes. “Il y a toujours eu une clientèle marocaine du luxe représentée par l’élite. Ce qui est intéressant, maintenant, c’est le développement d’une nouvelle clientèle de jeunes entrepreneurs, de cadres supérieurs, de médecins et d’ingénieurs qui ont connu une amélioration de leur statut social et qui sont attirés par les produits extrêmement raffinés. Nous pensons qu’il y aura à Casablanca la clientèle potentielle”, déclarait dans la presse économique marocaine, Bertrand Fornas, PDG de Cartier Monde, au moment de l’ouverture de l’enseigne à Casablanca en 2004. Emboîtant le pas à Cartier, Dior s’est aussi installé dans la ville blanche en 2007, fort du même constat : “En 2004, nous avions eu l’opportunité d’ouvrir un magasin à La Mamounia, à Marrakech. (…) Nous pensions, au départ, que nous aurions des clients touristes, mais ce n’était pas le cas. En fait, la clientèle était à 70 % constituée de Marocains qui venaient de Casablanca et Rabat. C’est un véritable potentiel qui s’est révélé à nous”, a surenchéri dans la presse Serge Toledano, PDG de Dior Couture.
En homme d’affaires avisé, le boss de Dior a décidé de passer à la vitesse supérieure en ouvrant une boutique de plusieurs centaines de mètres carrés dans le futur Morocco Mall. Il n’y sera pas esseulé. Avec un investissement de 130 millions de dirhams, et 3 millions de visiteurs attendus par an, Les Galeries Lafayette s’installeront aussi dans ce futur temple de la consommation, avec dans leurs bagages tous les grands acteurs du luxe, à l’image du magasin parisien de l’avenue Haussmann. Les Galeries Lafayette savent qu’elles jouent une partie gagnée d’avance. Le thermomètre annonçait que les Marocains avaient déjà le virus du shopping, la maladie de la griffe : ils sont les 10èmes meilleurs clients étrangers des boutiques de luxe parisiennes, selon une étude marketing publiée en 2008 par l’Office du tourisme de Paris. Basée sur le montant de la détaxe des produits à la sortie du territoire, l’enquête révèle que les Marocains dépensent en moyenne 680 euros par an lors de leur shopping. Chiffre encore plus révélateur, ils se classent 5èmes pour les achats Place de la Paix et Place Vendôme, les deux joyaux de l’orfèvrerie parisienne. Devancés d’un cheveu par les Chinois pour la 4ème place, mais à égalité avec les Saoudiens et les Suisses, deux nationalités au pouvoir d’achat largement supérieur.

Chic, choc, toc : le Maroc
La messe est dite. Le Maroc, en tant que pays émergent, est devenu un territoire d’avenir pour les vendeurs de rêve. Et en premier lieu, pour la grosse cylindrée, devenue commune dans les artères casablancaises, rbaties et marrakchies, les trois villes où s’affichent Porsche, Audi, Mercedes dernier cri. “Le marché marocain de la voiture de luxe ressemblera sans doute de plus en plus au marché chinois ou russe, deux pays où les ventes d’automobiles de prestige sont en plein boom”, présage Loïc Roix, directeur commercial de Porsche et Audi. C’est ainsi qu’en 2009, année noire pour l’automobile, crise économique oblige, les ventes du secteur premium (le haut de gamme du 4 roues) ont fait un bond de 33% au Maroc. A elle seule, Porsche a vendu 50% de plus qu’en 2008, grignotant 12% de parts de marché en une seule année. “Aussi bien en 2008 qu’en 2009, nous avons épuisé notre quota de Porsche Cayenne (vendue à près de 2 millions de dirhams pour la version Turbo S, ndlr) auprès de la maison-mère. Nous avons dû demander 40 exemplaires de plus”, précise-t-il. Et l’avenir s’annonce rose, voire doré, puisque Porsche a écoulé son quota de Panamera, son dernier modèle vendu à près de 1,4 million de dirhams, en moins de trois mois, entre octobre et décembre 2009.
Pour les professionnels du luxe, les nouvelles sont bonnes d’où qu’elles viennent, leur portefeuille clientèle s’enrichit de jour en jour grâce à une génération arrivée à maturité en termes de pouvoir d’achat : “Nous vendons souvent nos meubles à des chefs d’entreprise et des professions libérales. Ils ont entre 35 et 40 ans, ont rêvé de notre griffe lors de leurs études en France. Aujourd’hui, ils achètent nos créations car ils en ont les moyens”, explique Sophie de Puyraimond, co-gérante de Roche Bobois, spécialiste du mobilier de luxe sur mesure. La facture moyenne s’y élève à 150 000 dirhams pour un salon. Mais ça peut chiffrer beaucoup plus : les bons de commande d’un million de dirhams pour meubler toute la maison y sont devenus monnaie courante.

Vue sur golf
On possède la jolie pièce design, et l’écrin pour la mettre en valeur ne manque plus, depuis que les villas, résidences et appartements de luxe sortent de terre comme des champignons après la pluie. Ce segment de l’immobilier ne représente que 10% des ventes du secteur, selon le ministère de l’Habitat, mais il est appelé à se tailler une place prépondérante dans quelques années. C’est ainsi que l’arrivée des grands promoteurs arabes a irrigué, grâce aux pétrodollars, l’immobilier de luxe, les projets plus invraisemblables les uns que les autres se multipliant. A titre d’exemple, l’homme d’affaires Abdellah Slaoui, avec des partenaires bahreïnis, a construit à Bouznika une dizaine de villas autour d’une mer artificielle. Vendues à 14 millions de dirhams l’unité, elles se sont arrachées comme des petits pains en moins de trois mois. Sol Kerzner, richissime businessman sud-africain, a fait encore mieux dans sa station balnéaire Mazagan. Sur les soixante-sept villas prévues, et commercialisées entre 9 et 25 millions de dirhams, près d’une soixantaine ont déjà trouvé leurs acquéreurs. Parmi ces nouveaux propriétaires, un pourcentage conséquent de Marocains que le prix n’a pas inquiété un seul instant, dont l’ex-capitaine de l’équipe nationale de football, Noureddine Naybet, qui s’est offert une villa avec vue sur le golf. Pour une belle retraite dorée.

Home (very expensive) sweet home
La CGI, Addoha et Palmeraie Développement, les trois mousquetaires de l’immobilier, ont investi en masse le créneau en construisant de concert appartements et villas de très haut standing autour du futur golf de Bouskoura. L’affaire s’est révélée juteuse pour la CGI qui a écoulé, en une matinée à peine, une bonne moitié de ces villas, vendues entre 1,8 et 6 millions de dirhams. “Le projet de Bouskoura répond à une nouvelle demande. Les Casablancais veulent un cadre de vie agréable, non pollué, avec des prestations haut de gamme. Le tout à 15 minutes de la métropole”, résume Jawad Zyat, directeur général d’Addoha.
L’ex-directeur des Investissements au ministère du Tourisme a été engagé par Anas Sefrioui, magnat du logement social, pour développer Prestigia, la branche haut de gamme d’Addoha. En moins d’une année, Prestigia a lancé neuf projets dans les plus grandes villes du Maroc. Et tire déjà les marrons du feu. Le groupe d’Anas Sefrioui a vendu, en un temps record, 92% des appartements de la première tranche du Marrakech golf city, commercialisés à près de 2 millions de dirhams l’unité. Prestigia a réalisé en neuf mois à peine 7 milliards de dirhams de chiffre d’affaires et, selon les prévisions du groupe, cette branche luxe représentera à moyen terme 50% du chiffre d’affaires global d’Addoha. Fini donc les barres grises HLM pour le roi du logement social. Anas Sefrioui vise désormais l’échelon social supérieur, des couples entre 35 et 40 ans avec des revenus communs de 45 000 dirhams. C’est le portrait-robot des nouveaux propriétaires de Prestigia. Un agrégat, perdu entre classe moyenne et A +, ni Crésus ni à plaindre. Une nouvelle espèce de consommateurs qui ne demande qu’à se dorer sur tranche…


Show me if you can

Réservées jusque-là à une élite, les griffes se sont démocratisées pour conquérir de nouvelles fashion-victims. Elles ont joué sur du velours au Maroc où, entre paraître et être, le culte des apparences a toujours été omniprésent.


Il faudrait être aveugle pour ne pas les voir. Chopard, Cartier, Yves Saint Laurent, Roberto Cavalli... les grandes griffes ont pris d’assaut les panneaux d’affichage 4X3 du triangle d’or casablancais. Elles s’exposent désormais dans une orgie publicitaire digne de la réclame d’une vulgaire lessive pour femme au foyer. Et pourtant, il y a dix ans encore, ces griffes étaient absentes du paysage médiatique marocain. “Au milieu des années 1990, il n’y avait aucune grande enseigne du luxe. L’émergence de la presse féminine, à la même époque, a permis aux acteurs du secteur d’avoir une vitrine d’exposition. Les annonceurs voulaient s’adresser en priorité à la cible des magazines féminins, à savoir les lecteurs des CSP A+. Mais, en parallèle, ils créaient du désir et du rêve chez les lectrices des CSP B et chez les filles qui empruntaient les magazines féminins de leurs mères”, analyse Aïcha Sakhri, cofondatrice de Femmes du Maroc.
En 2010, moins de quinze ans plus tard, les acteurs économiques du luxe ont gagné leur pari. Ils ont su capter la vue et l’ouïe de nouveaux consommateurs. “La démocratisation du luxe est un phénomène mondial et le Maroc n’en est pas exempt. Pour élargir la base de leur clientèle, tous les professionnels du secteur s’adressent désormais aux cadres supérieurs et aux cadres moyens”, analyse Khadija Mekouar, créatrice de l’Observatoire de la franchise, qui a suivi l’installation des grandes enseignes au Maroc depuis l’avènement des années 2000. Ces nouveaux consommateurs sont appelés les status-seekers ou statutaires dans le marketing du luxe. Tous achètent des griffes avant tout pour affirmer leur nouveau statut social. Et les status-seekers, le Maroc en regorge depuis qu’il émerge sur le plan économique. Cadres supérieurs installés dans la vie, jeunes femmes ayant pris d’assaut le marché du travail et pourvues d’un pouvoir d’achat, employées du secteur tertiaire voulant être bien sous tous rapports, ils sont les fruits disparates de cet essor.

Love me, I’m rich !
Tous n’ont pas les pieds posés sur le même barreau de l’échelle sociale, mais ils s’unissent autour d’une idée fédératrice qui transcende leurs différences de niveau : ils consomment du luxe pour afficher des signes ostentatoires de leur ascension. “Vivant chez mes parents, je n’ai aucune facture à payer. Avec mon salaire, je m’offre des bijoux, des chaussures et des sacs griffés car l’image que l’on renvoie aux autres est importante”, témoigne Kaoutar, cadre moyen dans une banque de la place. Issue d’un milieu modeste, elle a appris à reconnaître les noms des créateurs à force de feuilleter la presse féminine. Son salaire lui sert d’argent de poche et, quitte à se priver de sorties mensuelles, elle le consacre au superflu sans regarder à la dépense, quand il s’agit de se faire un petit plaisir en adéquation avec ses nouvelles attentes de femme active.
“On nous reprochait souvent d’afficher une robe à 20 000 dirhams lors d’une séance de mode”, se souvient Aïcha Sakhri. Aujourd’hui, par contre, on s’y est habitué : “Les prix ne choquent plus personne”, constate Lotfi Sefrioui, le gérant du magasin Chopard à Casablanca. Parmi ses clientes, il compte même des secrétaires de direction avides du petit bijou qui fait bien. Non, le prix n’est plus un obstacle psychologique, car cela se passe ailleurs, dans le regard que portent les autres sur les signaux que vous leur envoyez. Une étude menée en décembre 2008 par le cabinet d’études B. Marketing sur la perception du luxe chez les Marocains souligne ce fait. La population sondée, 220 femmes et hommes, cadres supérieurs et professions libérales pour la plupart, a déclaré pour une très grande majorité consommer du luxe car elle est en quête d’une reconnaissance sociale. Exemples de citations piochées dans l’étude : “Le luxe, c’est se dire que nous sommes une catégorie sociale à pouvoir se permettre un tel produit (… ) C’est faire partie des happy few ( …) C’est l’appartenance, on entre dans le groupe (…) Les clients du luxe ont un code entre eux : telle chaussure, telle marque, te classent à un certain niveau”.

Faux et usage de faux
Dans cette quête des signes d’une ascension sociale, un lecteur du No Logo de Naomi Klein verrait une simple frénésie consumériste, créée par le matraquage publicitaire autour des marques qu’il faut avoir dans son dressing ou sa boîte à bijoux. Au Maroc, l’évangile des alter-mondialistes doit être nuancé par un fait obtus. Ici, entre les riches et les pauvres, il n’y a pas de classe tampon, et par conséquent aucun produit correspondant à leur pouvoir d’achat. Parfois, donc, on choisit le luxe (un peu) contraint et forcé. “Entre Zara et Dior, il n’y a rien pour la classe moyenne. Une femme peut porter un top Zara depuis que Kate Moss leur a servi d’îcone. Pour le reste, faute de choix, elle sera contrainte de se rabattre sur de grandes marques qui correspondent à ses nouvelles envies, mais pas à son niveau de vie”, constate Aïcha Sakhri, ex-directrice de publication de Femmes du Maroc.
On ne veut surtout pas redevenir celui ou celle qu’on a été, sans toutefois avoir les moyens d’être celui ou celle que l’on veut devenir. Alors on s’endette, on accepte les fins de mois difficiles, puisque beaucoup d’enseignes luxueuses acceptent le paiement en trois fois, les chèques à déposer une fois son compte crédité, comme n’importe quel magasin de quartier. Paraître à un prix que l’on accepte de payer depuis que c’est devenu, dans certains cas, une obligation : “Lors d’un entretien d’embauche, arborer un sac Vuitton est le minimum syndical pour certains postes. Beaucoup de candidates l’ont intégré à leur panoplie pour se faire respecter de la personne qui a le pouvoir de les engager ou pas”, constate une consultante en ressources humaines. Quitte à user d’artifices, comme emprunter le sac d’une copine ou acheter du faux. C’est ainsi que plus de la moitié des femmes interviewées dans l’étude menée par B. Marketing ont avoué avoir déjà acheté une copie de marque de luxe (53%). Et, dans ces ersatz des griffe, un sac contrefait pour plus de 50% d’entre elles.

Dorure vs vieil argent
Dans cette course au statut social, les champions toutes catégories du shopping de luxe restent cependant les nouveaux riches du royaume. Les fortunes récentes bâties dans l’immobilier et à la Bourse flambent et alimentent la surenchère dans l’apparence : “Il n’est pas rare qu’un client vous demande la même voiture que flane, mais avec plus d’options”, explique Loïc Roix, directeur commercial de Porsche et Audi. Une autre fois, un client a demandé que l’on change le logo Porsche pour le remplacer par son nom. Il a essuyé un refus poli du concessionnaire, et s’est sans doute rabattu sur une autre technique courante pour afficher sa réussite : commander une plaque d’immatriculation où est inscrit le 911 de la cylindrée mythique du constructeur allemand.
Les professionnels du secteur du luxe ont appris à faire avec cette population d’un nouveau type, attachée à montrer son argent : Chez Roche Bobois, spécialiste du mobilier haut de gamme sur mesure, des clients exigent que le sigle soit bien visible sur tous les meubles qu’ils commandent. Alors que la signature est discrète en temps ordinaire. “Nous ne sommes plus dans le luxe quand tout se démocratise”, se plaint, dépitée, une jeune femme de la vieille caste d’Anfa supérieur. Elle est membre des “gardiens du temple”, autre terme marketing pour désigner les clients traditionnels des marques de luxe, définitivement pas le genre à se laisser influencer par la publicité et le marketing. Les griffes, voitures, villas et bijoux hors de prix, chasse gardée de happy few, sont ainsi devenus, au grand dam des vieilles fortunes, la tasse de thé quotidienne des nouveaux riches. “Ils se battaient pour assister à l’ouverture de Cartier Rabat. Pour un peu, les invitations auraient pu être vendues au marché noir”, plaisante une jeune femme, qui a préféré ne pas assister à cette inauguration trop courue à son goût.

L’unique plutôt que la tunique
On est toujours le con d’un autre dans un dîner. Et l’ancien pauvre de quelqu’un au Maroc : “Les relations avec eux (les nouveaux riches) se limitent aux affaires et n’atteignent jamais le stade personnel. Ils sont capables de vous faire un scandale au restaurant pour une cuillère pas assez propre alors qu’ils mangeaient avec les mains encore hier”, se plaint la fille d’un homme d’affaires ayant fait fortune dans les assurances dans les années 1960. Une époque révolue où le luxe était l’apanage de happy few.
Jugés “trop show off”, les nouveaux riches sont entrés par effraction dans ce monde feutré où on a appris à conjuguer le luxe depuis tout petit. Un cercle restreint tombé dans la marmite gamin comme Obélix : “YSL, c’était courant à la maison”, se souvient une jeune femme. En réaction, elle ne porte plus de robe signée du couturier français, préférant se rabattre sur une simple robe noire Zara. Elle met en valeur sa tenue avec de vieux bijoux de famille, misant ainsi sur la patine du temps pour retrouver “l’exceptionnalité” du luxe. “Les mères transmettent leur vieux sac Chanel à leurs filles. Elles misent ainsi sur des classiques introuvables dans le commerce”, explique une observatrice du milieu de la mode. Côté homme, on se distingue en troquant sa Porsche devenue trop commune pour une Bentley ou toute autre voiture de prestige non distribuée au Maroc. “Notre clientèle est composée de fortunes anciennes et discrètes qui veulent de l’exceptionnel et de l’unique. Cela peut aller du cache iPod en or, aux bagues-sculptures en météorite, en passant par une cave à cigares spéctaculaire en laque et or à plus de 1 million de dirhams”, surenchérit Guy de Puyraimond, créateur de bijoux sur mesure pour l’establishment rbati. En somme, qu’importe le prix du flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse de la distinction. Le petit (et gros truc) qui vous distingue du tout venant riche…

Brillants objets
Khmissa
Cartier et Chopard ont repris ce classique local pour créer un bijou destiné spécifiquement au Maroc. La khmissa, customisée par les deux orfèvres parisiens, fait un carton auprès des Marocaines qui en raffolent. Les khmissas, signées Cartier et Chopard, se vendent à 5 000 dirhams pour les plus simples, mais peuvent atteindre des sommes vertigineuses en fonction des pierres précieuses qui les sertissent.
Tableau
“Le Sultan du Maroc et son escorte”, œuvre du peintre orientaliste Henri Rousseau, a établi un nouveau record lors de la dernière vente aux enchères de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art (CMOOA). Adjugée à 4,4 millions de dirhams, elle a détrôné Jacques Majorelle, dont le tableau “Moussem à Moulay Dourein” avait été adjugé à 4,2 millions de dirhams. L’art est devenu un marché sûr où l’on peut investir son trop plein de liquidités.
Porsche Cayenne
Vendu à près de 800 000 dirhams pour sa version la plus “économique”, et presque 2 millions de dirhams pour la déclinaison Turbo S, le 4x4 du fabricant allemand a fait un carton plein sous nos cieux où 80 exemplaires ont trouvé preneur en 2009. Pour répondre à la demande, Porsche Maroc a même dû demander du rab’ à la maison-mère qui, pour ne pas frustrer autant de clients inattendus, a pioché dans les quotas de Cayenne attribués à d’autres pays.

Le truc qu’ils ont et que vous n’aurez jamais
Le coran en or de Lalla Khadija
La fille de Moham?- med VI a reçu en cadeau à sa naissance ce bijou serti d’émeraudes. œuvre unique, il a été offert à Lalla Khadija par le joaillier Aziz El Hajouji (patron des bijouteries Passion) qui l’a ciselé spécialement pour elle. Un cadeau princier pour une princesse. Estimation du coran : 700 000 dirhams.
Une villa de prestige
Le tour du propriétaire de la villa la plus chère au Mazagan Beach Resort tient en quelques chiffres: 700 m2, 5 chambres dont une bâtie sur le modèle des suites de palace, une aire de service pouvant loger 4 employés, une piscine comme de bien entendu, une double vue imprenable sur le green du golf et le bleu de l’Océan Atlantique. Et un prix: 25 millions de dirhams. De quoi s’offrir trois pâtés d’immeubles dans le logement social.
Un Jet privé
Miloud Chaabi, Aziz Akhannouch, Othman Benjelloun, Karim Lamrani, Anas Sefrioui… ils se sont tous acheté un avion d’affaires (Learjet, Challenger ou Global Express) comme tout milliardaire qui se respecte, toujours entre deux contrats à signer. La toute dernière acquisition est à mettre à l’actif de Maroc Telecom. L’opérateur a offert à son président, Abdeslam Ahizoune, un Bombardier Challenger 604 d’une capacité de 12 places. Coût de l’avion : plus de 200 millions de dirhams.

Témoignages
Kawtar,
38 ans, directrice artistique
“Cela ne m’intéresse pas d’avoir un sac Dolce&Gabbana comme 80% des flambeuses de la place. Pour moi, le luxe c’est l’exception et la différence. Je baigne dedans depuis toute petite, mais j’ai toujours été considérée comme une originale, voir une marginale, car je n’adhérais pas aux codes de mon milieu. J’ai un rubis, mais pas n’importe lequel. Je l’ai acheté en Inde, il a une histoire. Le luxe est devenu vulgaire car il s’est démocratisé. Le rapport qu’entretiennent les nouveaux riches avec le luxe est malsain. Ils ne sont pas dans la recherche du raffinement, mais uniquement dans le bling bling et la consommation depuis qu’ils ont les moyens financiers pour réaliser leurs rêves. Il y a 10 ans à peine, les grandes soirées privées casablancaises, qui se déroulaient chez quelques têtes d’affiche de la bourgeoisie, étaient l’occasion de sortir sa belle robe de soirée, d’en parler avec des amies, se conseiller. Mais on s’y amusait avant tout ! On rencontrait une personne et non pas une marque. Aujourd’hui, on vous y toise de la tête aux pieds pour savoir ce que vous portez.”

Hind, 28 ans, free-lance dans l’évènementiel
“Superflu à la base, le luxe devient une nécessité quand on s’y est habitué comme moi. Je n’ai pas un budget shopping, je marche au coup de foudre, c’est le principe d’achat d’un produit de luxe. Je gagne entre 20 000 et 30 000 dirhams mensuels, mais je me fais plaisir presque tous les mois en consacrant à mon shopping entre 5000 et 10 000 dirhams. Tous mes déplacements professionnels à l’étranger sont l’occasion d’acheter des produits de luxe. On y a le choix et on profite des prix. Je reviens d’un voyage à Barcelone où j’ai profité des soldes pour m’offrir une pochette Yves Saint Laurent à 400 euros et des chaussures Jimmy Choo à 500 euros. Comme beaucoup de consommatrices de produits de luxe, j’achète davantage d’accessoires que de fringues griffées. Je peux porter un simple top H&M, pourvu que mes chaussures soient signées. Ce mélange simplicité et sophistication est le meilleur moyen de les mettre en valeur.”

Hicham, 35 ans, investisseur en bourse
“J’ai fait beaucoup d’argent et très vite au moment de la flambée des cours à la Bourse de Casablanca. Du jour au lendemain, je pouvais enfin m’offrir tout ce dont je rêvais. J’ai acheté cash un nouvel appartement à Casablanca, un pied à terre à Marrakech, et je change de voiture chaque fois qu’un nouveau modèle de prestige arrive au Maroc. Je roulais en BMW X5, je l’ai remplacé par le X6, et j’achèterais le X7 si BMW décide d’en sortir un. J’ai toujours aimé les belles choses, sans avoir les moyens de me les offrir. Quand j’ai enfin pu, je ne m’en suis pas privé. Je me souviens parfaitement de mon premier achat. C’était une montre Rolex car je fantasme sur cette marque depuis l’adolescence. Beaucoup de mes amis au lycée, issus de milieux aisés, en avaient une au poignet. Cela me frustrait, mais je me suis bien rattrapé depuis.”

Mourad, 40 ans, promoteur immobilier
“Je consomme du luxe pour deux raisons. J’aime ça, car s’acheter ce que l’on veut quand on le veut est très grisant. D’autre part, je suis bien obligé de m’intégrer à mon nouveau milieu social en affichant les mêmes codes qu’eux : avoir un bel appartement dans le quartier qu’il faut, des meubles signés, être vu dans certains endroits et pas d’autres. Je me tiens au courant des nouvelles tendances en feuilletant les magazines ou lors de dîners entre amis. Voiture, mode, objets, sont des sujets qui reviennent souvent lors de nos conversations. Tout cela est plaisant et utile à la fois, car à Rome il faut faire comme les Romains. Je ne me vois pas arriver dans un restaurant select en baskets et jeans, le serveur me regarderait forcément de haut, pensant que l’habit fait le moine. Je sais être dans le culte de l’apparence, mais c’est la règle du jeu pour être respecté au Maroc.”

 
 
© 2009 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés


04/04/2010
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