Café du français

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Ces Marocains d’un autre royaume

Reportage. Ces Marocains d’un autre royaume


Depuis les années 70, la Suède accueille des Marocains en quête d’aventure ou d’une terre d’asile. Une petite communauté de 20 000 immigrés. Découverte.


Malgré la température glaciale en ce début d’après-midi, une foule importante a pris d’assaut le centre-ville de Stockholm. Au programme pour tous : shopping. Et pour cause, la capitale suédoise abrite une concentration d’enseignes de prêt-à-porter. Suivi au pas par sa meilleure amie, un jeune homme d’une vingtaine d’années essaye de se
frayer un chemin dans une boutique de lingerie féminine. Ce blond aux yeux bleus, qui se fait appeler Bob par son accompagnatrice du jour, est à la recherche d’un coup de cœur pour l’anniversaire de sa copine. Mais les apparences sont trompeuses. Malgré son physique de Scandinave et son prénom digne d’un polar américain, Bob est un ould l’bled. Un Maghribi, du moins un nos-nos, rejeton d’un père rifain et d’une mère goteborgoise. “Ils se sont connus au début des années 70 à l’aéroport de Stockholm où travaillait ma mère. Mon père, qui venait à peine d’atterrir pour un voyage d’affaires, n’a pas hésité à l’aborder”, explique-t-il dans une darija très approximative avant de préciser : “En fait, mon prénom est Rachid. Je me fais appeler Bob depuis que je suis tout jeune parce que c’est plus facile à prononcer en suédois”.

Du Rif à la Scandinavie
Des Marocains en Suède, il faut se lever tôt pour en trouver. Nos compatriotes au pays de Björn Borg sont officiellement une bonne dizaine de milliers dont la plupart sont originaires du Rif, d’après les registres de l’ambassade du Maroc à Stockholm. Mais, officieusement, c’est une autre histoire. Ils seraient entre 15 et 20 000 selon les services de renseignements suédois. Toujours est-il que ces chiffres sont dérisoires en comparaison avec les communautés marocaines installées dans les autres pays européens, voire aux Etats-Unis ou au Canada. Pourtant, la première vague d’immigration de Marocains vers la Suède ne date pas d’hier. Elle remonte à la fin des années 60, début des années 70. “C’étaient essentiellement des admirateurs du socialisme suédois et des valeurs universelles qu’il défendait et qu’il continue encore à défendre”, explique Mustapha Ouli. La soixantaine bien entamée, ce professeur d’arabe rencontré dans un palace du centre-ville de Stockholm sait de quoi il parle. “Je poursuivais à l’époque des études de sociologie à Bagdad. Mais au début des années 70, le Pouvoir a sommé tout le monde de quitter son territoire. Résultat : de nombreux camarades et moi avons logiquement opté pour la Suède, qui était pour nous un modèle de réussite”, raconte-t-il. Cependant, le socialisme suédois n’explique pas à lui seul le tropisme exercé à l’époque par cette péninsule scandinave coincée entre la Norvège et la Finlande. Le goût de l’aventure y est également pour quelque chose. “Beaucoup de globetrotters insouciants avaient simplement soif de découverte”, souligne Mustapha Ouli avant d’ajouter, sourire malicieux, presque gêné, au coin des lèvres : “Sans oublier bien sûr les jeunes célibataires dont la motivation principale était le physique légendaire des femmes scandinaves”. Et de poursuivre : “ça leur a finalement réussi puisque la plupart se sont mariés avec des Suédoises ou des Norvégiennes. J’en fais d’ailleurs partie”.

Un mariage blanc pour 200 000 dirhams
A partir de la fin des seventies et le début des eighties, le regroupement familial s’est imposé comme la principale porte d’entrée des Marocains en Suède. “Beaucoup de Marocains divorcés de leurs épouses scandinaves sont rentrés au Maroc le temps de se remarier avec une fille du bled pour la ramener avec eux”, explique Mustapha Ouli, ajoutant : “Et il y a bien sûr ceux qui essayent d’aider des membres de leur famille ou des proches en difficulté en leur dénichant soit de rares contrats de travail soit des mariages blancs”. C’est le cas d’Amina. Ancien cadre au sein d’une banque casablancaise, cette mère de famille arrivée en Suède en 1979 en a fait visiblement une spécialité. “Ma sœur, mon frère, mes cousins, des amis… Bref, j’ai dû ramener en Suède au moins une dizaine de personnes grâce à des mariages blancs”, se targue-t-elle avant de poursuivre : “Il y a quelques années, les tarifs étaient abordables, mais aujourd’hui ils peuvent grimper jusqu’à 200 000 dirhams”. D’autres Marocains n’ont pas eu à débourser la moindre couronne pour se voir ouvrir les portes du pays d’IKEA. Et pour cause, la Suède a toujours été une terre d’asile pour les persécutés en tout genre : Sahraouis indépendantistes, marxistes-léninistes, républicains, islamistes…et même homosexuels. “Ils prétendent être en danger de mort au Maroc même si ce n’est pas toujours le cas. Aujourd’hui la plupart sont mariés à des Suédois, certains ont même fondé des familles”, rapporte cet officiel marocain. Il en profite pour nous faire part d’une anecdote cocasse : il y a quelques années, un ministre marocain invité au Parlement suédois a été interpellé par un député. “Monsieur le ministre, je suis heureux de vous rencontrer. Je suis un grand amoureux du Maroc. La personne qui partage ma vie depuis de nombreuses années en est d’ailleurs originaire”, déclare le parlementaire. Réaction du ministre : “Elle est de quelle région du Maroc votre épouse ?” Réponse du député : “Vous voulez dire de quelle région il est, monsieur le ministre ?” Inattendue, la réplique de ce dernier, d’après notre source, n’a pas manqué de mettre dans l’embarras l’officiel marocain et ses accompagnateurs.

Ahmed Rami ? Oui je connais
Le plus connu des Marocains installés en Suède est incontestablement Ahmed Rami. Condamné à mort pour sa participation aux coups d’Etat de Skhirat en 1971 et du Boeing royal en 1972, ce lieutenant des FAR a réussi à sauver sa peau en quittant le pays clandestinement en direction de l’Algérie puis la Libye…avant de poser ses valises en Suède à la fin des années 70. “A l’époque j’avais lu dans la presse que les autorités suédoises proposaient l’asile politique aux déserteurs américains de la guerre du Vietnam. Je me suis alors dit qu’il fallait que je tente ma chance dans ce pays”, explique celui qui doit son statut de “star” à son antisémitisme tous azimuts autant qu’au silence radio de ses compatriotes. Les Marocains de Suède se font tout petits. Aucun d’entre eux n’est présent sur la scène politique, audiovisuelle, culturelle ou sportive. Pour expliquer cette situation, ce serveur natif de Tanger met en avant un argument de taille : “Nous ne sommes pas aussi nombreux qu’en Espagne, en France ou aux Pays-Bas”. Avant de pointer du doigt le racisme : “Il est très présent dans notre quotidien. Contrairement à la France où on vous traitera de tous les noms, ici c’est plus subtil, on va vous sourire mais on ne vous permet pas d’occuper certaines fonctions”.
Une poignée de Marocains ont tout de même réussi à tirer leur épingle du jeu en devenant businessmen, architectes, ingénieurs, médecins… L’un d’entre eux est même une célébrité dans le milieu médical : Abdeljibar El Manira est, à 36 ans, professeur au Karolinska Institute, l’un des plus prestigieux hôpitaux et centres de recherche en médecine dans le monde. “Notre institut remet chaque année les prix Nobel de physiologie et de médecine”, précise-t-il. A lui seul, ce docteur en neuroscience, installé en Suède depuis 1992, dirige une équipe éminente de chercheurs venus des quatre coins du globe pour des travaux sur la moelle épinière. Saâdia Bouiid, elle, a réussi dans les affaires. Agée de 50 ans, cette ancienne employée de la compagnie d’assurances Essaada, arrivée en Suède à la fin des années 70, est aujourd’hui à la tête de plusieurs entreprises, notamment dans l’informatique. Mais le grand dada des Marocains de Suède reste les services. La plupart exercent des emplois dans la restauration, l’hôtellerie, la vente au détail, le nettoyage, et surtout les transports en commun : “Rien qu’à Stockholm, il y a 70 chauffeurs de taxi marocains”, nous apprend Samir, taxi-driver depuis 1987. “C’est un boulot pas très contraignant et très payant. Vous êtes votre propre patron, vous rentrez à la maison quand vous voulez, vous pouvez prendre deux mois de congés et rentrer au Maroc… Cest l’idéal”, ajoute-t-il. Un job que personne n’a envie de laisser tomber. “A moins qu’une opportunité intéressante ne se présente un jour au Maroc”, conclut Samir.
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20/12/2009
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