Café du français

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Dossier. Objectif mariage

Dossier. Objectif mariage


Archaïque, compliqué, lourd, contraignant, coûteux, le mariage n'en reste pas moins une institution solide, bien installée et attrayante. Ses adeptes se comptent par millions. Comment fonctionne cette machine ? Peut-on, ou plutôt veut-on y échapper ?
La Moudawana a-t-elle changé quelque chose au mariage ? "évidemment, elle a tout changé", voit-on déjà répondre énergiquement les plus endurcis parmi les défenseurs du nouveau texte. Droit au domicile familial pour la femme,

 

responsabilité collégiale du ménage, le divorce au lieu de la répudiation, l'absence du tuteur et la liste est, heureusement, encore longue. Mais tout cela a-t-il pour autant désacralisé le mariage en tant qu'institution sociale ?
Les mêmes défenseurs endurcis marquent un temps de pause. Abstraction faite du niveau de scolarité et des origines socioprofessionnelles, le mariage reste –la tendance est générale - encore une fin en soi. "Le but ultime d'une vie, avec le travail", selon Hachem Tyal, psychiatre.
Kayen shi Maâqoul ?
Pour la femme par contre, point de grâce. C'est déjà beaucoup qu'on l'ait laissée tranquillement finir ses études, il ne faut pas trop en demander non plus. à 25 ans, on est déjà "vieille fille" dans certains milieux, surtout populaires où la femme n'a pas poursuivi d'études supérieures et n'attend plus que "zmanha" (littéralement, "son devenir", concrètement, son homme). Même instruite et occupant un poste important, une femme subit d'énormes pressions à cet âge. Et deux fois sur trois, elle cède même quand elle n'est pas elle même demandeuse. "à 25 ans, une jeune fille a suffisamment intériorisé l'image de la femme et de la mère qu'on lui a enseignée pour éprouver une fois son premier objectif atteint (les études), l'envie de fonder une famille, de trouver un partenaire et de faire un bout de chemin à deux. à cet âge-là, une fille a encore besoin de rêve et d'idéal qu'elle croit entretenir en se mariant ", nuance Aboubakr Harakat. "En plus, ajoute cette sociologue de Rabat, dans le langage populaire, une fille est toujours la fille, la femme, la mère ou la sœur d'un mâle. Elle n'a d'existence dans l'espace public que par sa relation à un homme".
Sans tourner à l'obsession mais baignant dans l'idéal, tous les mâles qui l'entourent deviennent des candidats à l'union et quand une relation se prolonge avec l'un d'entre eux (quelques mois suffisent), elle se voit déjà questionnée : "iwa, âynou fshi maâkoul" (Alors, cherche-t-il quelque chose de sérieux ?) quand ce n'est pas elle qui fait le premier pas. Si c'est le cas, la relation est alors tolérée (elle n'est du moins pas empêchée) du moment que l'option du mariage pointe à l'horizon. "Le mariage n'est que la formalisation d'un état de fait", fait remarquer Harakat. La formalisation d'unions (pas forcément sexuelles) librement consenties qui précèdent le mariage, "une manière d'être en règle vis à vis de la société, de sortir de la clandestinité". évidemment, il y a les rebelles, aussi bien chez les hommes que chez les femmes, adeptes de l'amour libre. Mais alors, "il faut une force psychologique très forte pour assumer cette rupture avec la société", analyse Jamal Khalil.
L'explication peut paraître grossière, mais à partir de 30 ans (et plus), la femme atteint ce que les spécialistes appellent "le seuil biologique". Clairement, cela veut dire que si elle attend davantage d'années, elle risque de ne plus enfanter. Ajoutez à cela la frustration d'une famille qui marie ses filles l'une après l'autre et vous comprendrez pourquoi à cet âge, la pression tourne au harcèlement. A vrai dire, les familles n'ont même plus à faire pression. Passé un certain âge, une femme sent indéniablement "l'urgence ou le besoin de se marier". Bouchra est fille d'un haut gradé, elle a passé 10 ans à l'étranger avec la même personne."Le jour où on a pensé au mariage, sa famille a refusé et il a cédé. J'avais 33 ans. J'avais l'impression d'avoir perdu 10 ans de ma vie pour rien. Un sentiment bizarre dont je ne me croyais pas capable. J'ai alors commencé à chercher un mari, à chater sur Internet. J'ai fini par le trouver, un médecin bien installé, prétendu homme d'affaires. Six mois plus tard, j'ai découvert que j'étais mariée à un menteur fini. En plus, je n'arrêtais pas de lui trouver des défauts à force de le comparer à mon ex. Mais bon, je n'avais pas trop le choix. C'était mon destin et il fallait l'assumer".
Homme cherche bonne (femme)
Si le célibat se prolonge par contre, les parents se résignent à accepter le mektoub (le destin) de leur fille, ne manquant pas une occasion (mariage, baptême, etc.) pour s'en apitoyer et toute la famille avec. L'homme aussi a un seuil, sociétal celui-là. Un homme mûr, à l'aise financièrement et qui vit seul paraît louche. Le délai de grâce a alors expiré. Souffre-t-il d'un problème ? Aime-t-il réellement les femmes ? Faut-il l'emmener visiter tel ou tel autre marabout ? L'une de ses conquêtes de jeunesse lui a-t-elle jeté un sort, le pauvre ? Ceci quand il n'est pas le premier à estimer que "baraka (ça suffit), il est temps de trouver une gentille femme qui s'occupe de lui, qui repasse ses habits, prenne soin de son ménage et lui assure une bonne descendance". En fait, il s'agit de se fondre dans la foule, de ne plus rester en dehors du cercles des hommes respectables, de revêtir l'habit social. Quitte à jouer la comédie. "Quand mon cousin (44 ans) a demandé sa femme en mariage, il s'est présenté comme un gentil médecin rangé et sans histoires. Aux parents conservateurs de son épouse et à cette dernière, il a caché qu'il buvait de l'alcool, et même le simple fait qu'il fumait. à ce jour, il continue de se brosser les dents avant de rentrer chez lui et n'envisage pas encore de dire la vérité ne serait-ce qu'à sa femme, alors que sa propre famille est au courant", témoigne Said. Un véritable cas psychologique, révélateur d'une attitude schizophrène. Cet homme n'a pas réussi à faire la rupture entre ses deux vies. Tout en aspirant au rang d'homme marié et donc respecté, il n'en a pas pour autant fini de "tirer son 401ème coup". Dès lors, pourquoi s'est-il marié ? Qu'est-ce qui l'y a poussé ? Tyal avance l'explication des "règles implicites". à 44 ans, notre homme sait que (c'est sa règle implicite dans ce cas) "à son âge, il faut se marier pour mériter sa place dans la société". Inconsciemment, il y a adhéré.
Je t'aime, ma famille non plus
Jeunes ou moins jeunes, hommes et femmes finissent par y arriver : la rencontre familiale. "à ce stade, note Jamal Khalil, ce ne sont plus deux individus qui se marient mais deux tribus, deux régions ou deux ethnies. Chaque membre de la tribu estime alors avoir droit au chapitre. Chacun cherche son propre modèle et dénigre le modèle choisi par le marié ou la mariée". Un exemple pour illustrer cela, ce sont les enfants d'un veuf qui lui choisiront sa nouvelle femme. Quelque part, ils reproduisent ainsi l'image de leur mère.
Passé ce cap (il y a certainement des exceptions), une bataille enragée commence pour en mettre plein les yeux à la nouvelle belle famille. Quand la famille de la fille est plus aisée, il se trouvera toujours une parente du mari pour donner la réplique : "Nous lui donnons le meilleur des hommes. Et puis, c'est elle qui lui a couru après". Et vlan, l'équilibre des forces (faussé par la fracture sociale) est ainsi rétabli.
Puis très vite, on en vient aux détails. Qui payera la cérémonie ? Qui amènera quoi ? Là encore, les deux mariés sont généralement gentiment écartés. "C'est une affaire de grands". Mais alors, pas question de lésiner sur l'orchestre, la neggaffa qui se fournit chez Cartier et qui ne rate pas une édition de "Caftan", le chocolatier le plus select du moment, les cartons d'invitation qui gazouillent en s'ouvrant, etc. Quitte à ce que cela coûte le prix d'un appartement ou une année de vie du nouveau couple, les médisants ne doivent pas trouver à y redire.mariages et lors des fêtes, on se dit bonjour mais tout le monde attend le moment fatidique : celui du mariage de l'un d'entre nous. La gêne est encore totale. D'ailleurs, depuis ce jour là, je n'ai plus jamais mis les pieds chez la famille de ma cousine", raconte Ahmed, aujourd'hui trentenaire et toujours célibataire.Contrairement au pauvre Ahmed, vous avez passé l'étape de la cérémonie avec brio. Du haut de vos âmmarias respectives, portées par d'énergiques épaules payés au prix fort par le père de la mariée, vous avez salué, très mal assis, les centaines de convives qui, ravis de la qualité des mets et de la prestation de l'orchestre, sont prêts à remettre le couvert quand vous voudrez. Au milieu de tout cela, vous ravissez votre dulcinée et disparaissez lui conter fleurette en toute intimité. Le réveil est enchanteur, le petit déjeuner royal et le voyage de noces se présente sous les meilleurs auspices. à votre retour, vos parents (si vous êtes le mari) organisent une soirée, non moins fastueuse, pour célébrer votre retour de noces. Par malchance, tous vos invités se sont accordés pour vous offrir des soupières. Si votre banquier n'est pas très regardant, il vous fera de nouveaux crédits pour meubler la maison, acheter le frigo, l'aspirateur, le grand écran, le salon marocain et la chambre d'amis… pour la belle famille.

Magazine telquel@copyriht



12/12/2010
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